Nouvelle Vague 1990
Lennox (avec un effet d’écho). Ne te retourne pas !
Voix de Lennox
Tout cela, ils avaient l’impression de l’avoir déjà vécu. Et
leurs paroles semblaient s’immobiliser dans les traces (la musique reprend*) d’autres paroles d’autrefois. Ils ne faisaient pas attention
à ce qu’ils faisaient, mais bien à la différence qu’ils voulaient que leurs
actes de maintenant fussent du présent, et que des actes analogues eussent été
du passé.
...Ils se sentaient grands, immobiles, avec au-dessus d’eux le
passé et le présent comme les vagues identiques d’un même océan.
* Musique : Paul Hindemith Mathis der Maler
Quelqu’un
connaît-il la source de cette citation ? Si oui, laissez un commentaire.
If
anyone knows where this quote is taken from ? Please let’s a message here.
Retour aux sources
En 1990, Godard semble retourner aux sources d’histoires que les
années politiques de son engagement cinématographique avaient gelées en slogans
et manifestes : d’une part, les inoubliables histoire(s) de/du cinéma mont(r)ée(s) de 1988 à 1989, d’autre
part, histoire de retours avec Allemagne
90 neuf zéro ; et avec Nouvelle
Vague histoire que j’aimerais
nommer au plus court pour viser juste, histoires d’amour. Ou bien, encore
fragment de discours sur l’amour (si l’on se souvient de la manière dont Barthes
composa ce bouquin...) car Nouvelle Vague
se compose comme un montage de discours sur l’amour.
Polyphonie telle que le nom de Godard n’apparaît pas au
générique. Comme si le réalisateur s’effaçait cette fois encore mais pour son
compte (non au crédit du groupe Dziga Vertov comme ce fut le cas dans les
années dites politiques) dans l’échange des voix qu’il s’agit de cadrer.
Un cadre pour des
commerces amoureux qui exigent un champ :
une histoire, celle d’une femme riche « Elle » Elena
Torlato Favrini, « La comtesse » incarnée par Domiziana Giordano et
d’un homme pauvre « Lui » à qui Godard, -professionnel du
contre-emploi- donne à jouer à Delon (ce contre-emploi se vérifiant si bien
aujourd’hui ! mais c’est une autre histoire...)
Un contre-champ : un renversement narratif : Elle,
sera ruinée, Lui, Roger devenu « Richard » Lennox. Autrement dit, un échange (Godard &
le tennis bien sûr) jusqu’à qu’il soit échangé.
Lennox : L’échange est échangé.
Mais pour en arriver à ce même, celui que l’autre (Elle) va
reconnaître, il y a de multiples voix au chapitre.
Au chapitre des voix : On évoque souvent pour Nouvelle Vague les deux temps de la
révélation biblique : L’ancien et le nouveau testament. C’est fait.
Au chapitre des voix : Godard lors de la conférence de
presse à Cannes après la présentation du film «Il y a du découpage dans le
tennis. Il y a un rythme et une cadence. C’est très musical. Le cinéma c’est du
dialogue muet. »
Dialogue donc et « échange » commerce « dette
contre/comme paiement » « copie » - le quotidien
« Les échos » - répétition – redite – « l’économie dont l’autre
nom est charité » - le double de Lennox – et reconnaissance enfin, encore.
Mais pour que cela s’échange, circule sous forme de mots, de
« citations » (c’est
dire l’emprunt de paroles, la redite des mots d’autrui) d’images récurrentes,
reprises au fil du film, de son flux de son reflux, il faut au départ un trou.
Un trou ? Ou un mystère : Je le verrais bien au plan
32 alors que les deux mains se rejoignent (celle d’Elena, celle de Roger) sous
l’arbre de leur rencontre.
Et cette phrase de Bernanos (je crois) que Lacan reprendra à son
heure pour un autre tour autour du trou. Cette phrase qui vaut pour définition
de l’amour :
Elena : Quelle merveille que de pouvoir donner ce
qu’on n’a pas.
Lennox (doucement) Miracle de nos mains vides.
Si bien qu’à revenir à l’extrait ici et parce qu’en voix
off au début du film, on entend Lennox dire :
Mais
c’est un récit que je voulais faire...et je le veux encore.
ce mystère au moment du « Ne te retourne pas »
prend des allures d’un Orphée sauvée par Eurydice, revenante faisant à son tour
revenir Orphée de l’épreuve qui la sauva. Il y a assurément une merveille dans
ce film. On pourrait y tourner encore longtemps.