1.15.2014

Un panoramique pour métaphore : Les hommes le Dimanche / Menschen am Sonntag



Les Hommes le Dimanche  / Menschen am Sonntag 1930



Les dimanches de l’été 1929 d’un petit groupe de jeunes cinéastes, Robert Siodmak assisté de Robert Siodmak, furent occupés par le tournage des plans d’un documentaire écrit par Billy Wilder et Robert Siodmak, inspiré d’une idée du plus jeune frère de Robert Siodmak, Curt Siodmak, futur auteur, en autres, des scénarios de The Wolf-Man / Le Loup-Garou, 1941 et de I Walked with a Zombie / Vaudou, 1943.

Ces hommes, ces dimanches, filment des non-acteurs qui jouent leur propre rôle, d’hommes et de femmes ordinaires, cessant de l’être dès qu’ils échappent au train-train de la semaine, dès qu’on prend le temps de les regarder vivre.

Dans la veine de Berlin, Symphonie d’une grande ville, 1927 de Walter Ruttmann’s, autrement connu dans les années 20 sous le titre de Symphonie Urbaine / City symphony  (Paris, Moscou ont leur symphonie cinématographique...), Les Hommes le Dimanche se veut documentaire, mais réalise aussi, par la fiction de deux couples sans lendemain, le coup de force de montrer ce que la décence, la censure réprouvent : l’acte sexuel et les effets invisibles de cet acte.  

En un panoramique, la caméra s’éloigne avec pudeur du couple qui se forme, s’élève vers la cime des arbres, devenant par ce mouvement une véritable métaphore de ce qui arrive hors-champ.

Métaphore au propre puisqu’il y a bien transport du regard vers ce que l’on ne peut montrer. Métaphore au sens figuré, parce que si on ne peut pas le montrer, rien n’empêche d’en voir sa représentation.

En effet, dans un second temps du panoramique, la caméra descend : un plan nous montre des objets jetés là, dans une décharge sauvage.

Cette image renverse l’intention première : il ne s’agissait pas de détourner pudiquement le regard, mais de laisser voir plus loin.  

Une lecture morale peut être avancée : l’acte sexuel est figuré dans la montée vers les cimes des arbres et la descente de la caméra dit sa fin ou la chute dans l’impur -la décharge (sans jouer cependant trop longtemps avec ce mot si parlant en Français qu’il risque de faire écran à l’image).

Cependant s’il restait encore une hésitation sur les sens possibles du plan de la décharge publique, la fin du mouvement de la caméra, révélant l’homme fumant satisfait par sa conquête, au pied duquel la jeune femme est étendue, lève les derniers doutes.

Ce corps étendu, parce que considéré comme un objet par l’homme, est un corps mis aussitôt au rebut, exposé plein champ aux yeux des spectateurs.

Les réalisateurs rejoignent, le plan suivant, l’autre bord de l’humanité, par un plan rapproché sur le visage de la femme, achevant ainsi de décrire ce que les censures interdisent et de proposer au public matière à penser en image.

11.29.2013

City Girl : quand les coeurs battent la campagne




Si le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs, un champ de blé, quand F.W Murnau le filme, est un monde. 




Terre promise pour ce couple épris d'amour, Lem (Charles Farell) et Kate (Mary Duncan), pris dans le mouvement de leur bonheur. S'ils se rejoignent, un temps, pour figer un baiser, l'émotion est trop vive. Leur course éperdue bouscule le cadre. Ils vacillent, dansent, tombent, disparaissent dans les blés ondulants, repartent. Et lorsque enfin, ayant parcouru la profondeur de ce champ de blé, les amoureux arrêtent leur course, leur corps continuent d'osciller l'un vers l'autre comme deux épis de blé dans le vent de l'Oregon. 

Filmer ce qui fait se mouvoir le monde.

10.11.2013

Nouvelle Vague : retour aux sources




Nouvelle Vague 1990

Lennox (avec un effet d’écho). Ne te retourne pas !
Voix de Lennox
Tout cela, ils avaient l’impression de l’avoir déjà vécu. Et leurs paroles semblaient s’immobiliser dans les traces (la musique reprend*) d’autres paroles d’autrefois. Ils ne faisaient pas attention à ce qu’ils faisaient, mais bien à la différence qu’ils voulaient que leurs actes de maintenant fussent du présent, et que des actes analogues eussent été du passé.
...Ils se sentaient grands, immobiles, avec au-dessus d’eux le passé et le présent comme les vagues identiques d’un même océan. 
* Musique : Paul Hindemith Mathis der Maler

Quelqu’un connaît-il la source de cette citation ? Si oui, laissez un commentaire. 
If anyone knows where this quote is taken from ? Please let’s a message here.

Retour aux sources
En 1990, Godard semble retourner aux sources d’histoires que les années politiques de son engagement cinématographique avaient gelées en slogans et manifestes : d’une part, les inoubliables histoire(s) de/du cinéma mont(r)ée(s) de 1988 à 1989,  d’autre part, histoire de retours avec Allemagne 90 neuf zéro ; et avec Nouvelle Vague histoire que j’aimerais nommer au plus court pour viser juste, histoires d’amour. Ou bien, encore fragment de discours sur l’amour (si l’on se souvient de la manière dont Barthes composa ce bouquin...) car Nouvelle Vague se compose comme un montage de discours sur l’amour. 
Polyphonie telle que le nom de Godard n’apparaît pas au générique. Comme si le réalisateur s’effaçait cette fois encore mais pour son compte (non au crédit du groupe Dziga Vertov comme ce fut le cas dans les années dites politiques) dans l’échange des voix qu’il s’agit de cadrer.
 Un cadre pour des commerces amoureux qui exigent un champ : 
une histoire, celle d’une femme riche « Elle » Elena Torlato Favrini, « La comtesse » incarnée par Domiziana Giordano et d’un homme pauvre « Lui » à qui Godard, -professionnel du contre-emploi- donne à jouer à Delon (ce contre-emploi se vérifiant si bien aujourd’hui ! mais c’est une autre histoire...) 
Un contre-champ : un renversement narratif : Elle, sera ruinée, Lui, Roger devenu « Richard » Lennox.  Autrement dit, un échange (Godard & le tennis bien sûr) jusqu’à qu’il soit échangé. 
Lennox : L’échange est échangé.  
Mais pour en arriver à ce même, celui que l’autre (Elle) va reconnaître, il y a de multiples voix au chapitre. 
Au chapitre des voix : On évoque souvent pour Nouvelle Vague les deux temps de la révélation biblique : L’ancien et le nouveau testament. C’est fait. 
Au chapitre des voix : Godard lors de la conférence de presse à Cannes après la présentation du film «Il y a du découpage dans le tennis. Il y a un rythme et une cadence. C’est très musical. Le cinéma c’est du dialogue muet. » 
Dialogue donc  et  « échange »  commerce   «  dette contre/comme paiement »  « copie » - le quotidien « Les échos » - répétition – redite – « l’économie dont l’autre nom est charité » - le double de Lennox – et reconnaissance enfin, encore.
Mais pour que cela s’échange, circule sous forme de mots, de « citations »  (c’est dire l’emprunt de paroles, la redite des mots d’autrui) d’images récurrentes, reprises au fil du film, de son flux de son reflux, il faut au départ un trou.
Un trou ? Ou un mystère : Je le verrais bien au plan 32 alors que les deux mains se rejoignent (celle d’Elena, celle de Roger) sous l’arbre de leur rencontre.


Et cette phrase de Bernanos (je crois) que Lacan reprendra à son heure pour un autre tour autour du trou. Cette phrase qui vaut pour définition de l’amour :
Elena :  Quelle merveille que de pouvoir donner ce qu’on n’a pas.
 
Lennox (doucement) Miracle de nos mains vides.

Si bien qu’à revenir à l’extrait ici et parce qu’en voix off au début du film, on entend Lennox dire :
Mais c’est un récit que je voulais faire...et je le veux encore. 
ce mystère au moment du « Ne te retourne pas » prend des allures d’un Orphée sauvée par Eurydice, revenante faisant à son tour revenir Orphée de l’épreuve qui la sauva. Il y a assurément une merveille dans ce film. On pourrait y tourner encore longtemps. 
 

8.22.2013

City Lights : Lumière de la reconnaissance


Charles Chaplin : City Lights 1931


C'est une autre lumière qui jaillit parmi les lumières de la ville. Cette lumière advient  le regard de la jeune aveugle alors qu'elle reconnait sous les traits du clochard son fortuné bienfaiteur. Lumière de la reconnaissance.





Comment comprendre cette reconnaissance ? Comme un détour vers une évidence construite sur 3 répliques :

La jeune aveugle 





Le clochard







La jeune aveugle 








La dernière réplique, dans son apparente simplicité, laisse entendre aux spectateurs toute la richesse de l'instant. La jeune aveugle peut voir maintenant grâce à l'opération que le clochard a, par amour pour elle, réussi à financer.

Ayant recouvré la vue, elle, qui a été livrée au monde des apparences, peut voir au-delà de l'écran aveuglant des a priori. Sa dernière réplique en est l'aveu : oui je vois que mon bienfaiteur n'est pas le "prince charmant" dont je rêvais mais un vagabond. Oui, je comprends ainsi la vraie nature de l'amour. Chaplin atteint ici à l'universel. Les trois intertitres pourraient être supprimés. L'éloquence des regards suffirait alors que le cinéma à la sortie du film était devenu parlant ! 

Toutefois cette évidence qui éclaire les regards des personnages au moment de la reconnaissance a nécéssité des détours. 

Le détour essentiel est le hasard de la première rencontre. Hasard dont nait le quiproquo qui fera du gentil clochard un homme fortuné.  On sait que Chaplin a tourné cette scène durant une semaine,"chorégraphiant" (je le cite) les gestes des personnages. On pourrait formuler cette dynamique en œuvre dans le film : la puissance de l'évidence qui explose dans la scène de la reconnaissance est proportionnelle à la simplicité de son amorce. La reconnaissance nécessite le détour par l'anodin, par l'insignifiant, le fortuit. 

Un premier détour pour fuir la loi pour le vagabond, véritable chevalier errant :



et rencontrer sa destinée :







Une fleur tendue par la jeune aveugle est l'occasion de la première rencontre, une fleur offerte pour aumône au clochard sera l'occasion de la reconnaissance. Il faudra le temps du récit, ses tours et ses détours pour qu'à la fin du film, le geste de pitié de la jeune femme coïncide dans sa mémoire avec le geste qui scelle leur première rencontre. 

Evidence ? Mais de quelle évidence s'agit-il ? Charles Chaplin tenait à faire un film avec un personnage aveugle. Peut-être, autorisé par l'ambivalence du dernier intertitre, peut-on avancer qu'il s'agit de l'aveuglement que l'on identifie précipitamment comme de l'amour, mais qui n'est que fantasme, romance que l'on se conte, projection imaginaire d'un être fantomatique. Peut-être la cécité du personnage qu'incarne Virginia Cherrill est la métaphore de cet aveuglement

Mais l'évidence ? Le sujet de City Lights serait peut-être le visage. Visage dès lors qu'il n'est pas le masque théâtral, qu'il n'est pas mirage de l'autre. 

Le visage de la jeune marchande de fleurs apparaît à l'écran au moment où disparaissent ses illusions. 

Non pas ce visage se confondant avec son reflet


Ni celui dans la vitrine qui fait bonne figure





mais ce visage qui devient grave à l'instant où la jeune femme se sert de ses yeux...pour la première fois, c'est à dire pour re-connaitre. 



Visage farouche devant la vérité qui ne peut plus être masquée, lèvres refermées sur des contes qui s'effacent, yeux devenus perçants parce que la main sur la main du vagabond se souvient, elle, sans hésitation. Yeux qu'animent un regard enfin. Car la reconnaissance est cet instant où la vue que la jeune femme a retrouvée, la libère des apparences et des fantasmes. Elle voit enfin l'homme à travers le costume en haillons du vagadond. Elle voit enfin sur ce visage l'invisible de l'amour.






8.18.2013

Cinématographe : Mouvement de la lumière


Peter Greenaway : The Draughtsman's Contract 1982






Ces rares films où la lumière est l'objet même d'un plan...

 Peter Greenaway filme l'ombre portée des nuages dans la campagne du Kent. La lumière avance vers l'objectif de la caméra : lumineux mouvement d'un unique instant reproductible à souhait. Mémoire du cinéma.